Sortir du brouillard

 

Mouna, en arabe « Souhait », mon prénom depuis 43 ans !

Femme mariée, maman, docteure, MCF SDP[1]

Depuis que la vie me porte et que je porte en moi le souffle de la vie, on m’appelle « Souhait ».

Mon plus grand souhait aujourd’hui est de sortir du brouillard, un brouillard qui a longtemps duré et qui m’empêchait d’y voir plus clair et empêchait les autres de me percevoir en parfaite netteté.

fog-1208283_1920Pourquoi parler de brouillard ?

Parce que l’on me voit selon un prisme déformé qui est en décalage avec ma réalité. Souvent, on me voit souffrir, aller mal sans que le pourquoi de cet état ne soit compris. On m’a souvent dit : « tu as tout pour être heureuse… » Alors pourquoi je ne vais pas bien ?

Je suis en effet atteinte d’un syndrome peu connu qui m’a été diagnostiqué en 2016, le Syndrome de Dysfonction Proprioceptive (SDP). Un syndrome où la proprioception, c’est-à-dire le sens nous permettant de nous situer dans l’environnement et de contrôler nos mouvements, n’est pas optimale.

Sortir du brouillard est devenu pour moi primordial, ce qui m’a amenée à approfondir mes recherches sur le sujet et à découvrir l’association Sensoridys. Témoigner pour mieux faire connaitre ce syndrome me semble aujourd’hui une priorité pleine de (bon) sens.

Ce syndrome différent d’une maladie classique car pouvant se déclarer, s’intensifier, s’atténuer, voire disparaître selon l’état dans lequel je me trouve, me fragilise grandement. Je suis par ce fait, sujette à toute perturbation physique et émotionnelle. Cette hypersensibilité à l’environnement me met parfois dans des états de dérèglement et de déséquilibre difficile à cerner, à comprendre et à faire comprendre à l’entourage tant il implique toutes les dimensions de l’être : corps, esprit, mental, émotions…

Lors d’épisodes sévères, de crises de perte d’équilibre, je me sens telle une plume au milieu d’une tempête, malmenée, secouée sans aucun moyen de résistance et de stabilité.

Ce syndrome s’est déclaré pour moi et pour la première fois de façon franche et affirmée en 2012. Mon corps épuisé après plusieurs années de dépenses physiques, mentales et intellectuelles intenses, perd pied et n’arrive plus à (me) suivre ! La fragilité que j’ai en moi probablement depuis ma naissance se révèle au grand jour pour me rappeler à l’ordre : « Tu ne peux plus continuer comme avant ». Justement avant cela, je n’ai jamais eu de crise proprioceptive proprement dite, mais il m’est arrivé de me sentir un peu déstabilisée suite à de grandes fatigues ou d’émotions fortes.

Avant 2012, mon corps arrivait toujours à rattraper et à compenser sa déficience entraînant entre autres et de façon assez subite une myopie à l’âge tardif de 26 ans. Mes yeux n’arrivaient plus à compenser les efforts d’exposition prolongée à l’écran de l’ordinateur et commençait à montrer les premiers signes de fatigue : baisse de la vue et multiples problèmes de fragilité oculaires : hypersensibilité à la lumière, épisodes d’inflammation, allergies, etc.

Un autre phénomène caractéristique et que personne n’arrivait à expliquer c’est la grande perte parfois spectaculaire, d’énergie que je pouvais avoir dans une même journée me poussant à tout arrêter pour chercher à m’alimenter de façon urgente (coup de fringale) et puis toutes les carences périodiques en fer qui restaient inexpliquées. En fait, pour compenser son manque de stabilité, mon corps puisait constamment dans ses réserves et me donnait l’impression d’être comme une veille batterie qui se vide aussitôt qu’elle s’est chargée ou un seau troué qui ne garde l’eau que le temps de son remplissage !

En 2015-2016 et suite à un autre épisode encore plus intense marqué par des sensationsbalance-2034239_1920 de vertige et d’étourdissement, j’ai fait le tour de nombreux spécialistes sans que le problème ne soit découvert jusqu’au moment où mon médecin traitant m’envoie consulter chez un podologue qui détecte à travers une série de tests spécifiques, un problème de déficience posturale à l’origine de mes symptômes. Je suis aussitôt prise en charge pour une correction de ma posture à l’aide de semelles sur mesure et suivi par une ophtalmologiste spécialisée en posturologie.

Bien d’autres symptômes peuvent alerter quant à l’existence de ce problème proprioceptif. Pour moi et en plus de cette fragilité oculaire (accentuée par l’exposition aux écrans) et de la perte d’énergie, c’est :

-Ne pas supporter le bruit ou plus justement ne pas pouvoir supporter plusieurs sources sonores à la fois,

-Une extrême irritabilité (bruits, lumière intense ou peu intense, posture où mon corps n’est pas stable en statique comme en mouvement),

-Ressentir des angoisses et de l’insécurité face à un environnement chargé et encombré (en objets, bruits, informations…),

-Impression de « bug » total de moi-même, des trous de mémoire et une forte déstabilisation en voulant faire ou gérer plusieurs choses à la fois (gérer les sollicitations extérieures comme gérer mes idées et mes flux de pensées et où l’agitation mentale tournée vers l’intérieur ou l’extérieur peut très vite m’épuiser),

-Une hypersensibilité dans un double sens c’est-à-dire aux choses négatives comme aux choses positives. Comme il m’est possible de me sentir très vite très mal, je peux aussi très vite rebondir et ressentir un profond bien-être si les ingrédients de stabilité se trouvent réunis. Cette oscillation parfois sur une période très courte (plusieurs fois dans une journée) peut vite déstabiliser et donner l’impression d’exagérer ou encore l’impression que ce problème est imaginaire ! Avec cette oscillation, on peut aussi vite oublier notre fragilité et de nouveau forcer (efforts, exposition non filtré à l’environnement) et retomber aussitôt dans des états de déstabilisation assez déroutants !

En ayant approfondi ces questions et essayé de faire des recoupements entre tous ces symptômes pour mieux les gérer, j’ai compris que je ne peux pas ou plus donner mon attention à plusieurs choses à la fois. Par exemple à des moments où je suis très fatiguée, il m’est difficile de me changer face à mon reflet dans un miroir, me concentrer sur une tâche en ayant une sensation d’inconfort dans mon corps (un vêtement qui n’est pas très confortable ou une certaine coiffure qui me met mal à l’aise) ou saluer quelqu’un tout en conduisant ma voiture !

Je suis en perpétuel mouvement ce qui m’incite à me mettre dans une posture de souplesse et de réajustement constant.

Je ne suis bien que dans le vrai, je ne peux pas faire semblant, mon corps me trahit !

Je suis bien en connexion avec la nature.

Je suis bien en totale ouverture à la vie et non dans le contrôle. Quand je danse par exemple tout mon être se libère et mes problèmes s’envolent.

Je commence à comprendre que mon syndrome c’est moi, qu’il fait partie de ma personne et de mon histoire passée et à venir et que grâce à cette déficience, je ne cesse de marcher et d’explorer de nouveaux sentiers que je n’aurais jamais découverts autrement…

[1] Maîtresse de Conférences avec un Syndrome de Dysfonction Proprioceptive.