Journal d’un traitement proprioceptif

woman-3816800_1920J’ai vécu, en attendant Marc, une grossesse très difficile qui dès le premier mois a été classée à haut risque.  Par la suite, lors de la première échographie, on nous annonça une clarté nucale épaisse et cloisonnée. Il nous fallut faire une étude du caryotype puis attendre le septième mois de grossesse pour éliminer une malformation cardiaque. Autant vous dire qu’après tout ce stress,  quand Marc est né si « parfait », je n’avais plus du tout envie d’entendre ou de voir des signaux d’alerte !

Marc était un bébé très tonique, éveillé, extrêmement vif au niveau psychomoteur. Néanmoins, quand je regarde son carnet de santé, je  constate qu’ à chaque bilan il y avait toujours un petit item que Marc ne remplissait pas : « répète une syllabe » (9 mois), « nomme au moins une image » « superpose des objets (cubes) » (24 mois), « compte treize cubes ou jetons » (6 ans). Néanmoins, notre médecin notait toujours qu’il avait un très bon développement psychomoteur. Elle n’était pas inquiète, après tout, les enfants se développent tous différemment et ne peuvent pas tout faire en même temps.

A trois ans, à son entrée en maternelle, Marc parlait peu et mal et s’exprimait beaucoup par gestes ; mais là encore, il y avait une justification toute trouvée : petit dernier de la fratrie, il était un peu paresseux et aimait rester « bébé ».  A cette époque, les interprétations psys me convenaient plutôt bien : il est beaucoup plus facile d’accepter une explication d’ordre psychologique que d’admettre un vrai décalage à la norme. La maîtresse nous signala rapidement que Marc se tenait très près de sa feuille quand il écrivait et nous recommanda de consulter un ophtalmologue. Celui-ci vit Marc et conclut à une acuité visuelle parfaite.

En moyenne section, le médecin de la PMI examina Marc et nous fit un courrier où elle s’interrogeait sur l’opportunité de faire réaliser un bilan orthophonique suite à « un langage en cours d’évolution à 4 ans avec quelques lenteurs à la fluidité, à trouver les mots outils, les repères dessus….derrière » « Marc a parlé plus tard que ses frères mais commence à « se lancer » « utilisation de la main gauche, parfois encore les 2″ :

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Après discussion avec notre généraliste, nous décidâmes d’attendre encore un peu car les choses « étaient en train de se mettre en place ». A la fin de cette année de moyenne section, nous eûmes une nouvelle alerte de l’orthoptiste de la PMI, cette fois, qui nous informait d’une « insuffisance de convergence avec relâchement systématique de l’œil droit«  et s’interrogeait sur l’intérêt d’ « envisager une rééducation orthoptique si gêne à la fixation ».

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Notre ophtalmologiste nous envoya alors chez une orthoptiste qui confirma le défaut de convergence, mais estima que Marc était encore trop jeune pour une rééducation, d’autant plus que l’amplitude de fusion était satisfaisante. Elle recommanda une simple surveillance. Je demandai alors à notre ophtalmo quelles pouvaient être les conséquences d’une insuffisance de convergence, il me répondit qu’on verrait plus tard « si Marc fatiguait ». Pour ma part, j’oubliai rapidement cet épisode, n’en ayant pas compris les possibles implications, et  notre ophtalmologue omit de nous envoyer recontrôler ce point par la suite.

En Grande section de maternelle, Marc montrait toujours quelques difficultés à se repérer dans l’espace :

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Organisation spatiale GS

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Il avait aussi toujours des difficultés à se repérer dans le temps, l’apprentissage de jours de la semaine s’était révélé très difficile et  j’avais utilisé pour l’aider l’histoire « Les deux bossus » du Père Castor (livre + dessin animé) :

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En fin de grande section de maternelle, Marc n’arrivait toujours pas à se repérer dans le temps et nous demandait en permanence :

-Est-ce qu’aujourd’hui c’est demain ?

Et je vois encore mon mari me dire, un peu inquiet :

-C’est quand même bizarre, les autres n’ont jamais fait ça !

Cela n’était pas normal et nous ne le savions pas, même si quelque part nous sentions bien que quelque chose clochait… :(

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Arrivé en CP,  Marc éprouvait toujours des difficultés à se situer dans l’ espace, d’autres difficultés persistaient ou commencèrent à apparaître : confusions auditives « f » et « v », confusions visuelles « p » « b » et « a » et « o » ainsi que sa difficulté à écrire sur les lignes ou à dénombrer.

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organisation spatiale au CP

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La maîtresse nous conseilla un bilan orthophonique « par précaution » et cette fois, en accord avec notre généraliste, je pris contact avec un orthophoniste/psychothérapeute. Malheureusement, je choisis la mauvaise personne… Cet orthophoniste ne vit chez Marc qu’un problème d’immaturité et une exigence trop forte de notre école et ne fit que le suivre psychologiquement (nous n’avons jamais eu de compte-rendu du bilan orthophonique avec lui). La maîtresse était fort surprise qu’il n’ait rien trouvé. Avec mon mari, nous décidâmes de stopper au bout d’un an cette « orthophonie » (jouer, dessiner, jamais d’échange avec l’orthophoniste) qui n’apportait rien à notre fils (si c’était cela l’orthophonie, je me sentais capable de mieux faire …).

Alors que Marc s’était maintenu en CP à 13 de moyenne avec un travail titanesque à la maison, ses résultats s’effondrèrent au troisième trimestre de CE1. Il se mit à se plaindre de maux de tête, avait souvent les yeux rouges, son écriture était devenue complètement illisible. Les résultats aux évaluations nationales furent catastrophiques, notamment en mathématiques. J’emmenai alors Marc consulter une pédopsychiatre, ne comprenant pas ce qui se passait et ne sachant plus vers quel professionnel me tourner.  Elle écarta d’un revers de main les inquiétudes de l’enseignante de Marc et ne vit rien d’alarmant dans ses cahiers que je lui montrai pourtant, alors que ses « dysfficultés » y crevaient les yeux et me laissaient parfois en larmes n’en comprenant pas la cause.  Elle s’étonna de son niveau de langage qu’elle trouva très structuré (à cette époque, il ne faisait plus que quelques fautes de conjugaison) et décréta, elle-aussi, que le niveau d’exigence scolaire de notre école était trop élevé : elle ne le tirait pas vers le haut, mais était en train de « l’écarteler ». Elle me dit même « pourquoi  tester un enfant comme cela ? ». A ce moment, si son explication ne me convainquit pas tout à fait, elle me convint néanmoins : il est beaucoup plus facile de se dire que le problème vient de l’école que d’admettre que son enfant a un trouble réel.

cry-2764843_1920 (1)Dès la rentrée de CE2, la maîtresse s’alarma des difficultés de Marc en classe, mais aussi au niveau psychomoteur : il se cognait dans les portes, tombait facilement, semblait chercher son équilibre lorsqu’il courait (ci-dessous le courrier qu’elle écrivit pour décrire les difficultés de Marc à l’équipe médicale qui le prit en charge par la suite).


Courrier enseignante CE2

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Je repensai alors à ce problème de convergence détecté petit et que j’avais oublié n’en ayant pas compris les possibles implications. Je cherchai sur Internet quelles pouvaient en être les conséquences et je découvris alors une liste de symptômes qui correspondaient exactement aux difficultés de Marc. Persuadée d’avoir enfin trouvé la cause de celles-ci,  j’en parlai naïvement à la pédopsychiatre ne me doutant pas un instant de ce qui allait suivre. Du haut de ses certitudes, elle me tailla en pièces, me répondit qu’elle n’avait jamais entendu parler de cela et qu’elle avait une autre explication : je couvais trop mon fils qui était le petit dernier, je ne voulais pas le laisser grandir, je devais d’urgence reprendre le travail et le laisser affronter ses difficultés…

Autant vous dire que je suis sortie complètement démolie de cette entrevue, la boule au ventre, les larmes aux yeux, avec l’envie terrible de me jeter dans le premier point d’eau trouvé. « Avait-elle raison ? », « Etais-je vraiment cette mère hystérique qui refusait de voir grandir son enfant ? », « Les enseignantes de Marc étaient-elles toutes à côté de la plaque ? ». Heureusement, mon petit bonhomme était là avec moi, plein d’énergie et nous sommes allés au parc situé non loin de là. En le regardant jouer avec les autres enfants, je me repris et pris ma décision : j’allais poursuivre mes investigations du côté de l’orthoptie, j’étais certaine de toucher du doigt la cause des difficultés de Marc. Quand je rentrai à la maison et racontai à mon mari mon entrevue avec la pédopsychiatre, il fut aussi très choqué par les propos qu’elle avait osé me tenir et nous décidâmes de prendre contact avec l’orthoptiste ; même si, à ce moment, mon mari me conseilla de ne pas mettre autant d’ espoirs dans cette entrevue.

Nous retournâmes donc chez l’orthoptiste qui s’étonna de ne pas avoir revu Marc depuis son premier bilan et lui trouva cette fois un défaut majeur de la convergence des yeux avec diplopie. Elle rassura Marc en lui disant qu’il avait des difficultés à l’école, mais que ça n’était pas de sa faute, on allait l’aider maintenant. Je ne peux vous dire à quel point ses paroles furent aussi pour moi un immense soulagement : non, je n’étais pas cette folle hystérique et possessive et j’avais eu raison de suivre mon intuition. Elle débuta une rééducation, s’interrogea dès ce moment sur un possible SDP (syndrôme de dysfonctionnement proprioceptif) et nous recommanda de nous tourner vers un nouvel orthophoniste, étant très surprise de voir que le premier n’avait rien détecté. Cette nouvelle orthophoniste lui trouva une dysorthographie sévère touchant tous les domaines de l’orthographe, mais pas de dyslexie, même si Marc avait une mémoire et une conscience phonologique  faibles et des difficultés en lecture qu’il « compensait en partie au prix de très gros efforts ». Elle soupçonna aussi des difficultés d’origine neurovisuelle, commença une rééducation et nous encouragea à prendre contact avec le réseau de santé Pluradys pour avoir un regard pluridisciplinaire sur les difficultés de Marc. A la même époque, celui-ci commença à  bégayer et à souffrir d’encoprésie.

Les bilans que nous réalisâmes en lien avec Pluradys ne furent pas alarmants, le bilan psychométrique était homogène et parfaitement dans la norme. Les bilans en ergothérapie et en neurovision révélèrent des difficultés, mais qui à première vue ne semblaient pas trop importantes. Un médecin de l’équipe diagnostiqua alors une dysgraphie d’origines neurovisuelle et sensorimotrice, il préconisa des rééducations en orthoptie classique puis neurovisuelle, en ergothérapie, en kinésithérapie puis en orthophonie. Je dois avouer que ce diagnostic, plutôt optimiste et encourageant, ne me sembla pas en phase avec l’ampleur des difficultés que je percevais chez  Marc. Mais, ils étaient  les professionnels, peut-être avais-je tort ?

Les rééducations en ergothérapie et en neurovision piétinaient, la convergence des yeux ne tint même pas six mois et nous dûmes stopper neurovision et ergothérapie le temps de rééduquer à nouveau la convergence des yeux. La kinésithérapie neuroposturale et vestibulaire ne donnait pas plus de résultats. Les rééducateurs ne comprenaient pas ce qui se passait. Aucune amélioration n’était constatée à l’école et Marc s’enlisait dans ses difficultés. Sa situation à l’école se dégradait et il commença à être de plus en plus souvent l’objet de moqueries et de harcèlement.

L’orthoptiste « classique » revit Marc en rééducation pour travailler à nouveau la convergence des yeux et nous parla à nouveau d’une dysproprioception (SDP) probable chez Marc. Nous reprîmes la rééducation en neurovision, mais au terme de deux années de rééducations orthoptiques, les progrès de Marc s’avéraient très décevants (exophorie de près comme de loin, saccades peu précises et fatigantes, coordination œil/main qui demandait de la concentration et se détériorait dès que la vitesse augmentait, etc.) et à la maison, il n’arrivait toujours pas à compter, à voix haute, les cases sur un jeu de société (en début de CM2)…

Du coup, des membres de l’équipe ressource du réseau Pluradys se penchèrent à nouveau sur le dossier de Marc. Face à ses difficultés importantes et au peu d’efficacité des rééducations, ils nous recommandèrent de réaliser un bilan logico-math, ainsi qu’ une  évaluation d’un éventuel dysfonctionnement proprioceptif auprès d’une orthophoniste ayant suivi la formation du DU Perception, Action et Troubles des apprentissages. On nous proposa aussi de réaliser un bilan psychoaffectif qui révéla que Marc avait « une grande imagination, une pensée élaborée qui témoignait d’une vie interne riche », « un axe identitaire stable et une bonne assise narcissique », bref ses difficultés n’avaient pas une origine psychologique (OUF !!!) L’orthophoniste reçut Marc et le bilan mis en évidence un retard de développement du raisonnement logique touchant essentiellement les sériations et le nombre, en lien avec les aspects visio-spaciaux. Comme Marc avait du mal à trouver ses mots, par moments, elle s’interrogea aussi sur un trouble du langage oral. Les scores du bilan furent dans la norme, mais montraient des écarts entre d’excellentes aptitudes en morphosyntaxe (18)  et une fragilité sur le test de fluidité phonémique(8). Si ce test se situait dans la norme basse, l’orthophoniste nous expliqua que ce score devait néanmoins être pathologique chez Marc, au vu de ses aptitudes en morphosyntaxe. Après avoir observé Marc, elle conclut aussi qu’une consultation spécialisée en ophtalmologie était nécessaire pour confirmer la présence d’un SDP :

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A la suite de ces bilans, nous avons donc pris contact avec le Dr Quercia, ophtalmologiste (Chercheur associé – Unité INSERM U1093 Cognition Action et Plasticité Sensorimotrice) qui diagnostiqua bien un syndrome de dysfonction proprioceptive chez Marc et nous commençâmes un traitement proprioceptif . Et je peux vous garantir qu’après des années d’errance médicale, avoir enfin rencontré le professionnel à même d’aider notre fils, même au prix d’un traitement long et exigeant, fut un véritable soulagement :) .

children-studying-670663_1920Cette prise en charge lui a permis, dès lors, de commencer à progresser dans la lecture, mais aussi dans la prise d’informations visuelles, au point qu’ à l’heure actuelle, il réussit à s’en sortir sur des problèmes aussi complexes visuellement que le théorème de Thalès. Il peut travailler à partir des mêmes supports que les autres élèves, même si les photocopies ne sont pas de bonne qualité.

Ses premières années de rééducations n’ont pas toujours été faciles, car Marc avait la particularité d’être hypersensible à la qualité du « réglage » de sa proprioception. Au moindre grain de sable, il régressait : lunettes déréglées, dent qui tombe, blocage ostéopathique, chaussures devenues trop petites, etc. Il fallait donc être très vigilants, notamment au niveau du réglage des montures de lunettes, pour avoir toujours un traitement optimum.

Après six années, nous n’en avons pas encore terminé avec cette rééducation, mais il est clair que sans son traitement proprioceptif, notre fils n’aurait pas évolué aussi positivement. Une petite faiblesse demeure au niveau du graphisme, et Marc se sert toujours de son ordinateur en classe pour écrire quand il le juge nécessaire, ce qui lui permet de faire exactement le même travail que les autres, dans le même temps que les autres. Sa relation aux autres s’est aussi totalement normalisée, il a des copains, ne subit plus de moquerie, se sent de plus à l’aise pour participer en classe. Sans trop m’étendre, je peux citer aussi quelques-uns des autres bénéfices, non scolaires, de ce traitement : fin de l’encoprésie, du bégaiement et de l’hypersensibilité au bruit, moins de maladresse, je ne tremble plus à chacune de ses sorties, etc.

Aujourd’hui, je peux dire que ce traitement a changé les perspectives d’avenir de notre fils, ainsi que notre vie à tous !

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Vous pouvez suivre l’intégralité de l’évolution de Marc,  traité depuis octobre 2013 et aujourd’hui en première année d’IUT informatique,  au travers du journal de son traitement proprioceptif (Clic sur l’image) :

Marc

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J‘ai souhaité témoigner sur l’intégralité de notre parcours, car je lis encore trop souvent des histoires d’errances médicales avec des enfants qui ont de telles capacités de compensation qu’ils trompent pendant longtemps les professionnels qui les entourent. Et s’agissant du SDP, un enfant intelligent mis dans les conditions idéales de la passation des bilans, bien reposé et au calme, pourra parfois s’en sortir alors qu’il sera en échec dans les conditions réelles scolaires : bruits de fond (cf.conflits auditivovisuels), distracteurs, fatigue, etc…

J’entends et je lis souvent des critiques sur la médecine scolaire ou la PMI. Je voulais aussi témoigner sur le fait que dans notre histoire, ces institutions avaient parfaitement fonctionné et donné l’alerte, mais ce sont nos professionnels de proximité qui se sont révélés être bien mal informés/formés.

J’espère que ce témoignage pourra aider d’autres parents : suivez vos intuitions tant que vous avez l’impression de ne pas être allés jusqu’au fond des choses, la ténacité finit par payer !