L’intervention proprioceptive améliore les performances de lecture dans la dyslexie développementale : Une étude oculométrique

Je vous invite à découvrir l’étude publiée récemment par Luc Virlet et al. dans la revue Research in Developmental Disabilities, Volume 153, October 2024, 104813 : Proprioceptive intervention improves reading performance in developmental dyslexia: An eye-tracking study

https://doi.org/10.1016/j.ridd.2024.104813

Je vous propose un petit article de vulgarisation de cette étude :

POINTS A SOULIGNER

Les enfants dyslexiques font beaucoup plus de saccades oculaires et de fixations que les lecteurs typiques.
Les enfants dyslexiques ont des difficultés de lecture qui résistent aux interventions orthophoniques.
Une intervention proprioceptive complémentaire, impliquant l’utilisation de leurres somatosensoriels, améliore la lecture.
L’ajout d’une intervention proprioceptive améliore la stabilité de la fixation oculaire dans la dyslexie développementale.
L’ajout d’une intervention proprioceptive améliore la fluidité de la lecture silencieuse et à voix haute.

Introduction

La dyslexie développementale se caractérise par des difficultés d’apprentissages de la lecture, affectant la cognition et entraînant un échec scolaire. Jusqu’à présent, les interventions auprès des enfants dyslexiques se sont concentrées sur l’amélioration des capacités linguistiques (phonétiques, etc.), mais la dyslexie s’accompagne d’une grande variété de déficiences sensorimotrices. Une dysfonction proprioceptive a été décrite par certains chercheurs, impliquant un trouble de l’intégration multisensorielle d’ordre spatial et perceptif. Lorsque la proprioception est altérée, le tonus musculaire est généralement asymétrique et la posture se dégrade progressivement. Ceci est à l’origine de tensions musculaires, en particulier au niveau des globes oculaires. Elles sont à l’origine d’un défaut de convergence ou provoquent une instabilité de la perception visuelle. Les interventions chez les enfants dyslexiques devraient donc se concentrer non seulement sur les troubles de la lecture, mais aussi sur ces autres aspects. Quelques études se sont intéressées aux mouvements oculaires des dyslexiques, mais sans les aborder sous l’angle proprioceptif. Quelques interventions visuelles ne prenant pas en compte la proprioception ont été évaluées chez les dyslexiques, mais sans résultats convaincants.

En France, des chercheurs et cliniciens proposent une prise en charge globale de la proprioception des dyslexiques (lunettes à prismes, neurostimulations orales, semelles et exercices respiratoires) qui vise à corriger les troubles de l’intégration multisensorielle spatiale, au lieu de se concentrer uniquement sur les problèmes de lecture et d’écriture.

Dans cette étude, les chercheurs ont examiné les effets d’une intervention proprioceptive sur les performances de lecture et les mouvements oculaires des dyslexiques.

Méthodes

Dix-neuf enfants dyslexiques âgés de 9 à 14 ans, ayant fait au moins deux ans d’orthophonie, sans comorbidité (dysphasie, TDAH, TDC, etc.), ont été inclus dans cette étude. Ils avaient tous un retard de lecture de plus de deux ans (ou – 2 ET) lors de leur inclusion. Cette étude étant randomisée, ils ont été répartis de manière aléatoire dans un groupe thérapie orthophonique (ST)/9 et dans un groupe « intervention proprioceptive et orthophonique » (PSI) /10, dans lequel les enfants ont reçu à la fois une intervention orthophonique classique et une prise en charge proprioceptive. Un groupe contrôle de 9 enfants normolecteurs, du même âge chronologique, a été adjoint à l’étude, pour comparer les performances des enfants dyslexiques (ST et PSI) à celles d’enfants typiques.

Les enfants ont été évalués en lecture orale, avant et après l’intervention (au bout de neuf mois), par le test de l’Alouette-R réalisé par des orthophonistes.

Les performances en lecture silencieuse et les mouvements oculaires des enfants ont été enregistrés grâce à une eye-tracker (EyeLink 1000), avant et après l’intervention (au bout de neuf mois). Les enfants dyslexiques ayant du mal à lire à haute voix, la lecture silencieuse permet d’ éviter le biais de la parole, l’enregistrement des mouvements oculaires est alors nécessaire pour suivre leur lecture. Cet enregistrement apporte des données très objectives sur l’accès lexical, mesuré par la durée du regard sur le mot, qui correspond au temps que l’enfant met pour reconnaître le mot (aspect cognitif). La taille des saccades initiales renseigne sur les aspects sensorimoteurs, oculomoteurs.

Capture d’écran de la présentation du Dr Virlet au Vésinet.

Résultats

Lecture orale

Après neuf mois d’intervention, les enfants du groupe thérapie orthophonique (ST) ont eu un gain de performance significativement plus faible (-0,93) que ceux du groupe « intervention proprioceptive et orthophonique » (PSI) (+ 1,16). Ceci montre que les enfants ayant bénéficié de l’intervention proprioceptive ont amélioré leur niveau de lecture mesuré par le test de l’Alouette-R, alors que ceux qui n’en ont pas bénéficié ont stagné.

Capture d’écran de la visioconférence du Dr Virlet du 14/10/21 (diapo traduite en français).

2. Lecture silencieuse

La comparaison des mouvements oculaires entre l’examen initial et final a montré une amélioration significative des stratégies des mouvements oculaires chez les enfants du groupe « intervention proprioceptive et orthophonique » (PSI), mais pas chez les enfants du groupe thérapie orthophonique (ST). La figure 2 ci-dessous montre ces stratégies pendant la lecture silencieuse d’un enfant du groupe PSI avant (à gauche) et après l’intervention (à droite). Avant l’intervention, les mouvements oculaires étaient désorganisés, après l’intervention le regard est plus clair et moins erratique. Ses durées de regard sont beaucoup plus courtes et ses saccades ont une amplitude plus grande, ce qui a permis une lecture beaucoup plus fluide.

NDA – Pour plus de détails sur chacun des paramètres oculaires étudiés (durée de la première fixation, durée du regard, amplitude de la saccade), je vous invite à visionner cet extrait d’une visioconférence du Dr Luc-Marie Virlet, datant du 14/10/2021.

Conclusion

Dans le groupe « intervention proprioceptive et orthophonique » (PSI), les performances en lecture se sont améliorées et les mouvements oculaires étaient plus fluides et plus rapides, atteignant des valeurs similaires à celles des performances des normolecteurs. La reconnaissance des mots écrits s’est également améliorée, ce qui indique un meilleur accès lexical. Ces résultats montrent que l’intervention proprioceptive pourrait constituer un outil précieux pour l’amélioration de la lecture chez les enfants dyslexiques.

Pour les auteurs, cette étude confirme que la proprioception joue un rôle crucial dans l’apprentissage de la lecture. Pour la première fois, les mouvements oculaires ont été utilisés pour valider l’amélioration des capacités de lecture d’enfants atteints de dyslexie développementale. L’intervention proprioceptive a amélioré la fluidité de la lecture silencieuse et à haute voix (lecture plus fluide et plus rapide) et la stabilité de la fixation oculaire (moins de saccades et moins de fixations). Elle a amélioré à la fois les mouvements oculomoteurs et la procédure cognitive (c’est-à-dire l’accès lexical).

Remarque : La taille de l’échantillon peut sembler petite, mais elle est compensée par la puissance statistique de 0.9. La taille de l’échantillon a été calculée par rapport à la puissance très forte de l’étude : un effet massif nécessite peu de participants.