Dyspraxie et mathématiques

Alors que le lien entre dyspraxie et dysfonction proprioceptive commence à apparaître de plus en plus nettement, j’ai trouvé intéressante cette étude publiée dans  la revue Research and Developmental Disabilities, dans laquelle Alice Gomez a procédé à l’analyse du mouvements des yeux d’enfants dyspraxiques en utilisant un oculomètre lors d’une activité de dénombrement. En effet, les enfants présentant un trouble du développement de la coordination motrice ont souvent des difficultés en mathématiques.

L’impossibilité de dénombrer correctement était une des grandes difficultés de notre fils Marc, qui était apparue dès la maternelle et restait encore très visible en CP. Ses erreurs de dénombrement s’étant révélées être les prémices des difficultés qu’il allait rencontrer en mathématiques par la suite. Dans les petites classes, sa maîtresse mettait cette difficulté sur le compte d’un problème de compréhension de la consigne, tant il nous était à l’époque impossible d’imaginer qu’il s’agissait d’un problème de stratégie du regard.

Michel Mazeau avait particulièrement bien décrit ces difficultés dans Médecine thérapeutique / Pédiatrie. Volume 3, Numéro 4, 273-80, Juillet – Août 2000, Revue : Séquelles neurologiques et sensorielles de la grande prématurité. C’est en la lisant que j’avais compris cette difficulté de Marc :

« La dyscalculie spatiale est précoce, quasi-constante, sévère  et tenace . Elle est la conséquence directe des 2 lignées de troubles : les troubles de la stratégie du regard, qui induisent  un trouble du dénombrement […]. Le dénombrement, qui suppose une excellente coordination entre  la récitation de la comptine numérique (dire la suite des  mots-nombres) et la désignation (du doigt, du regard) de chaque élément de la collection, est perturbé par des oublis (éléments non vus, qui n’ont pas été balayés du regard) et des doubles ou triples comptages. En effet, du fait de son  absence de stratégie oculo-motrice lors des activités de   comptage d’une collection, les yeux de l’enfant vont se poser de façon  non controlée plusieurs fois sur le même élément,   alors que d’autres n’auront pas été vus. Comme ceci est aléatoire, les essais successifs vont aboutir à des résultats  différents pour la même collection. Aussi, plus il dénombre, plus il détruit sa confiance dans l’invariance  du nombre. L’expérience répétée qu’à  une même collection peuvent correspondre des cardinaux différents  altère les racines mêmes de la construction du concept de  nombre chez l’enfant. »  

Je trouve donc l’étude d’Alice Gomez rapportée dans un article de Cortex Mag très intéressante, car elle vient appuyer, à l’aide de mesure en oculométrie, cette explication. Pour savoir dans quelles mesures ces capacités en mathématiques ont été impactées chez les enfants dyspraxiques, la chercheuse a recruté 20 enfants dyspraxiques (âgés de 7 à 10 ans) et 20 enfants contrôles. Deux tâches leur ont été proposées :

  • La première tâche consistait à regarder des ensembles de points (de 1 à 9 par ensemble) et les dénombrer sans limite de temps. Un exercice facile pour des enfants de cette tranche d’âge, à moins qu’ils ne soient dyspraxiques. Dans ce cas, au-delà de quatre points, ils font significativement plus d’erreurs : ils surcomptent ou oublient les points, et les erreurs augmentent avec le nombre de points. Et même quand ils prennent plus de temps, les enfants dyspraxiques font plus d’erreurs que les enfants contrôles.  
  • La deuxième tâche était une tâche de subitisation (La subitisation est la capacité à quantifier de manière rapide et précise un groupe d’objets sans avoir à les dénombrer un par un. Les adultes sont capables de subitiser jusqu’à quatre éléments). Le dispositif était le même sauf que la durée d’exposition était limitée à 250 millisecondes, ce qui empêchait l’enfant de compter. Dans cette situation, les enfants contrôles ont pu subitiser jusqu’à quatre éléments alors que les dyspraxiques perdaient en précision à partir de trois éléments.  

En parallèle de ces constatations, les mouvements des yeux ont été analysés grâce à un oculomètre et les enregistrements ont montré que les enfants dyspraxiques faisaient plus de fixations que les enfants contrôles lorsqu’ils dénombraient les points.

Selon Alice Gomez, deux interprétations sont possibles : « Soit leurs mouvements des yeux sont eux-mêmes imprécis, soit ils rencontrent des difficultés dans les processus cognitifs qui se traduisent par des fixations plus nombreuses. » Quoi qu’il en soit, ces résultats pointent les difficultés des enfants dyspraxiques à se représenter des quantités d’objets et plaident pour un accompagnement spécifique. 

La conclusion de cet article de Cortex Mag est aussi intéressante, car elle fait le lien avec la dyslexie et évoque des troubles sensoriels, attentionnels et visio-attentionnels :

Ces conclusions sont applicables aux autres troubles développementaux. Pour la dyslexie, par exemple, la théorie dominante sur l’origine du trouble a longtemps porté sur l’aspect linguistique, en particulier les difficultés phonologiques. Or des études ont révélé que d’autres facteurs entraient en jeu : d’ordre sensoriels et attentionnels mais aussi visuo-attentionnels. 

Bien évidemment, vous avez compris en quoi tout cela m’intéresse. Qui dit mouvement des yeux dit muscles oculomoteurs. Qui dit muscles oculomoteurs dit proprioception visuelle. Bref, et si une dysfonction proprioceptive était la cause de ces difficultés ? Ce qui ne fait pour moi aucun doute, puisque les problèmes de stratégie du regard de notre fils ont cédé à la reprogrammation proprioceptive, alors qu’ils avaient résisté à de nombreuses heures de rééducation orthoptique.

L’article complet dans Cortex Mag : .


Je vous recommande d’écouter aussi ce podcast, où le Dr. Alice Gomez (Université Claude Bernard de Lyon 1) nous explique ses travaux portants sur la dyspraxie et l’apprentissage des mathématiques (clic sur l’image) :


A lire aussi sur ce site :

Vision, proprioception et lecture

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