
Quand j’étais enfant, je ne manquais pas un épisode de « L’Île aux enfants », une émission de télévision dans laquelle un gentil monstre, Casimir, se délectait d’un plat immonde, un mélange improbable d’ingrédients divers : le « gloubi-boulga ». Si Casimir s’en régalait, ce gloubi-boulga donnait la nausée à tous les autres habitants de l’île aux enfants. Le succès de ce programme fut tel que pour les personnes de ma génération, ce terme désigne toujours un mélange désagréable ou incompréhensible.
C’est le sentiment que j’ai eu en découvrant l’avis récent du comité scientifique de l’UNADREO, Union Nationale pour le Développement de la Recherche et de l’Evaluation en Orthophonie, s’intitulant « Prismes et dyslexie » 1 (par Charline Grossard – 8 novembre 2022). Le titre très imprécis donné à cet avis « scientifique » annonçait déjà pour moi le manque de rigueur de son contenu. En effet, les patients souffrant d’une dysfonction proprioceptive savent bien que les prismes utilisés dans le cadre du traitement proprioceptif de la dyslexie sont très différents des prismes utilisés plus classiquement en strabologie. Les prismes « actifs », dits posturaux 2, sont toujours de très faible puissance (de 1∆ à 3∆, exceptionnellement 4 ∆, et parfois inférieurs à 1/2∆ soit moins de 0.25°). Leur axe est placé dans le champ d’action du muscle dont le tonus veut être modifié, leur but étant d’entraîner une modification de l’état de tension des muscles oculomoteurs et des informations proprioceptives qui en partent. Ils agissent donc le long des chaînes musculaires bien au-delà des muscles oculaires. L’œil n’est qu’un moyen d’entrer sur la proprioception générale, de la même façon que les stimulations orales ou plantaires. Ceci a été décrit par les scientifiques en …1955 ! Les règles de prescription de ces prismes « actifs » sont totalement différentes de celles des prismes « passifs » utilisés dans le domaine de la strabologie classique, en effet elles prennent en compte l’ensemble de l’état des chaines musculaires corporelles et les perturbations perceptives visuelles. La prescription personnalisée de ces prismes « actifs » est un acte médical et ne peut se faire sans un examen clinique général. Une revue de la littérature visant à évaluer l’intérêt des prismes dans la dyslexie, qui ne ferait pas de distinction entre l’utilisation de prismes « actifs » et de prismes « passifs » reviendrait donc à mélanger un peu tout et n’importe quoi pour donner un avis qui ne pourrait être un avis d’expert, ni sur les bienfaits, ni sur les risques de ce type de prise en charge. C’est ce qui a été fait dans cette revue de la littérature, qui est pour moi un véritable gloubi-boulga insipide et indigeste mélangeant absolument tout. Mais c’est quelque chose qui me semble inévitable quand de non-experts d’un sujet se croient autorisés à donner un avis d’expert dans un domaine qu’ils ne maitrisent pas, même si celui-ci leur semble proche de leur domaine d’expertise. Ainsi, comment le comité scientifique de l’UNADREO peut-il parler d’effets délétères et de potentiels risques en prenant comme référence une étude qui utilise des prismes passifs de 8∆ sur chaque œil, soit 16∆ en tout, chez des enfants dyslexiques !
Par ailleurs, le vocabulaire employé dans l’avis de l’UNADREO en dit pour moi plus long sur la maîtrise du sujet de son/ses auteur-e-s que sur l’efficacité du traitement proprioceptif dans la dyslexie : « déficit plus large touchant la posture », « déficience posturale », « prises en charge posturale », « l’utilisation de semelles orthopédiques et une rééducation posturale », « faire le point sur les troubles posturaux ainsi que les troubles visuels retrouvés dans la dyslexie ainsi que l’efficacité d’une prise en charge posturale avec prismes. », « l’intérêt d’une rééducation posturale dans le cadre du TSApL ».
En 2022, continuer à se focaliser uniquement sur la posture, c’est passer à côté de toute la recherche qui a été réalisée depuis une quinzaine d’années sur le lien entre dyslexie et sensorimotricité ou dyslexie et proprioception, notamment au sein de l’unité INSERM CAPS, laboratoire partenaire de Sensoridys spécialisé dans les sciences du mouvement et de la fonction sensorimotrice. J’invite donc le comité scientifique de l’UNADREO à prendre connaissance de ces études3-17 dont le design a été réalisé par des chercheurs de l’INSERM ou des Professeurs d’Université qui sont des scientifiques de très haut niveau cumulant des centaines de publications internationales dans des revues à fort impact factor. Les deux études récemment publiées dans des revues internationales par l’U1093 INSERM CAPS (2020-2021), dont l’une dans une revue du prestigieux groupe Nature, sont de nature à les renseigner sur « l’importance des troubles sensori-moteurs dans la dyslexie », car leurs résultats supportent l’existence de troubles sensorimoteurs intimement liés à la dyslexie développementale18.
Enfin, dans le seul paragraphe où l’avis de l’UNADREO s’intéresse à « l’utilisation de la rééducation proprioceptive sur les capacités de lecture des personnes avec TSApL », il n’est vraiment question que de l’étude de Quercia et al. (2007), véritable marronnier que nous ressortent régulièrement tous les opposants du traitement proprioceptif de la dyslexie depuis 15 ans. Ceux-ci continuent d’ignorer tous les travaux plus récents, dont ceux plutôt orientés vers la recherche de mécanismes physiopathologiques plausibles et ne prennent jamais en compte ni l’avis des familles, ni la création de Sensoridys il y a un peu plus de quatre ans. Notre association vise pourtant à défendre les droits des familles et patients, ainsi qu’à faire connaître la dysfonction proprioceptive, dans laquelle s’inscrit pour nous la dyslexie. En tant que présidente de Sensoridys, je les encourage donc à prendre en compte notre expérience profane, comme le recommande Mme Claire Compagnon 19, Déleguée Interministerielle Autisme et Troubles du Neuro développement, qui déclare :
« Prenez en compte la parole et l’expertise des patients, de leurs familles, car cela va nous faire faire des économies sur le système de santé et cela va surtout nous apporter un meilleur système de santé dans notre pays ».
Les troubles d’apprentissages ont un coût personnel, social et économique très élevé (une des causes dominantes de phobie scolaire, de tentative de suicide, de délinquance et de dépenses de l’argent public) 20,21,22. Est-il normal qu’une profession qui se doit d’être complètement engagée dans l’aide aux enfants « dys », se réfugie derrière de pseudo-évaluations ne tenant pas compte des dernières données scientifiques pour décider de ne pas informer les familles de leurs jeunes patients de l’existence d’un traitement innovant non médicamenteux, dont les données de sécurité sont rassurantes ? 23
Chacun répondra à cette question en son âme et conscience. Ce n’est pas seulement une question de responsabilité médicale vis-à-vis d’une perte de chance et d’un devoir d’information, c’est aussi une question d’éthique. Mais une chose me paraît certaine, aujourd’hui les familles, de plus en plus nombreuses, ne sont plus dupes …
Corinne Grandvincent, Présidente de Sensoridys.
Références :
1. Avis du comité scientifique de l’UNADREO « Prismes et dyslexie » 1 (par Charline Grossard – 8 novembre 2022) https://www.unadreo.org/wp-content/uploads/2022/11/Prismes-et-dyslexie.pdf
2: Livre “Oeil et bouche”, Drs Quercia et Marino, ISBN : 979-10-699-0945-8, p135-139
3: Laprevotte, J., Papaxanthis, C., Saltarelli, S. et al. Movement detection thresholds reveal proprioceptive impairments in developmental dyslexia. Sci Rep 11, 299 (2021). https://doi.org/10.1038/s41598-020-79612-4
4: Quercia P, Pozzo T, Marino A, Guillemant AL, Cappe C, Gueugneau N. Children with Dyslexia Have Altered Cross-Modal Processing Linked to Binocular Fusion. A Pilot Study. Clin Ophthalmol. 2020 Feb 13;14:437-448.
5: Van de Walle de Ghelcke1 A, Skoura X, Quercia P, Papaxanthis C. Action representation deficits in adolescents with developmental dyslexia . J Neuropsychol. 2020 Aug 20. doi: 10.1111/jnp.12220.
6: Quercia P, Pozzo T, Marino A, Guillemant AL, Cappe C, Gueugneau N. Alteration in binocular fusion modifies audiovisual integration in children. Clin Ophthalmol. 2019 Jul 4;13:1137-1145.
7: Mettey A, Bouvier AM, Jooste V, Boucher Y, Quercia P. Are changes in the stomatognatic system able to modify the eye balance in dyslexia? J Oral Biol Craniofac Res. Apr-Jun 2019;9(2):166-171
8: Michel C, Quercia P, Joubert L. Representational Bias in the Radial Axis in Children With Dyslexia: A Landmarks Alignment Study. J Learn Disabil. 2018 Jun 1:22219418784281. doi: 10.1177/0022219418784281
9: Quercia P, Quercia M, Feiss LJ, Allaert F. The distinctive vertical heterophoria of dyslexics. Clin Ophthalmol. 2015 Sep 25;9:1785-97
10: Vieira S, Quercia P, Bonnetblanc F, Michel C. Space representation in children with dyslexia and children without dyslexia: contribution of line bisection and circle centering tasks. Res Dev Disabil. 2013 Nov;34(11):3997-4008
11: Vieira S, Quercia P, Bonnetblanc F, Michel C. Space representation in children with dyslexia and children without dyslexia: Contribution of line bisection and circle centering tasks. Res Dev Disabil. 2013 Sep 11;34(11):3997-4008.
12: Quercia P, Demougeot L, Dos Santos M, Bonnetblanc F. Integration of proprioceptive signals and attentional capacity during postural control are impaired but subject to improvement in dyslexic children. Exp Brain Res. 2011 Apr;209(4):599-608.
13. Michel C, Bidot S, Bonnetblanc F, Quercia P. Left minineglect or inverse pseudoneglect in children with dyslexia? Neuroreport. 2011 Jan 26;22(2):93-6.
14. Vieira S, Quercia P, Michel C, Pozzo T, Bonnetblanc F. Cognitive demands impair postural control in developmental dyslexia: a negative effect that can be compensated. Neurosci Lett. 2009 Sep 22;462(2):125-9
15. Pozzo T, Vernet P, Creuzot-Garcher C, Robichon F, Bron A, Quercia P. : Static postural control in children with developmental dyslexia. Neurosci Lett. 2006 Aug 7;403(3):211-5. Epub 2006 Jun 23.
16. Quercia P, Chariot S, Seigneuric A, Vernet P, Pozzo T, Bron A, Creuzot C, Robichon F : Developmental dyslexia: Visual abnormalities during ocular rotation. Investigative Ophthalmology & Visual Science – Special Issue for ARVO (Association for Research in Vision and Ophthalmology) . Ft lauderdale (USA) May 2005.
17. Quercia P, Seigneuric A, Chariot S, Vernet P, Pozzo T, Bron A, Creuzot-Garcher C, Robichon F. : Ocular proprioception and developmental dyslexia. Sixty clinical observations. J Fr Ophtalmol. 2005 Sep;28(7):713-23.
18. « Sensorimotricité et dyslexie », Jérémie Gaveau, PhD https://youtu.be/WQhlz1IYIos
19. Interview Claire Compagnon – Femmes de Santé 2020 https://youtu.be/HJAzL-S_6Jw
20. Daniel SS and coll. Suicidality, school dropout, and reading problems among adolescents. J Learn Disabil. 2006 Nov-Dec;39(6):507-14.
21. Kirk J, Reid G. An examination of the relationship between dyslexia and offending in young people and the implications for the training system. Dyslexia. 2011 Apr-Jun;7(2):77-84.
22. Hakkaart – van Rojien L and coll. The cost-effectiveness of an intensive treatment protocol for severe dyslexia in childre Dyslexia. 2011 Aug;17(3):256-67.
23. Gueguen, J., Hassler, C., & Falissard, B. (2016). Evaluation de l’efficacité du traitement proprioceptif de la dyslexie, p 62. Rapport téléchargeable à cette adresse: https://www.inserm.fr/rapport/evaluation-delefficacite-du-traitement-proprioceptif-de-la-dyslexie-2016/
Crédit : Photo de Casimir: Capture d’écran/Youtube/Ina.fr
Merci merci pour votre réactivité à cet article : quand on ne connait pas, on n’en parle pas….
Meilleurs Vœux à vous et à toute l’équipe
Anne-Sophie SALLEE
Cabinet D’Orthoptie du Parc
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