La Science n’est pas figée, elle évolue au fur et à mesure qu’avance la connaissance. Et les neurosciences n’y échappent pas (même si certaines hypothèses sont présentées au public comme de quasi-certitudes dans l’univers des troubles des apprentissages). J’ai donc trouvé intéressant le billet de Rémi Guérin du site « Le cerveau à tous les niveaux », de juin 2022, qui montre à quel point tout évolue très vite dans ce domaine, et notamment la tendance qui a prévalu durant plusieurs décennies, à savoir de vouloir cartographier le cerveau par régions « spécialisées » dans une fonction quelconque.
Voici un extrait de ce qu’ il écrit :
Parmi les nombreux problèmes que me pose l’écriture de ce chapitre, il y a celui de la spécialisation fonctionnelle, c’est-à-dire notre tendance à chercher, et alors temporairement à trouver, des régions cérébrales « spécialisées » dans une fonction quelconque. […] une bonne part des protocoles d’imagerie cérébrale ont été depuis trois décennies conçus pour mettre en évidence de tels « centres de » quelque chose dans notre cerveau.
Or comme je l’écrivais entre autres dans ce billet de 2016, il semble que la plupart des régions du cerveau, et même des régions très petites, peuvent être activées par de multiples tâches. Par exemple, le cortex pariétal postérieur ne peut pas rentrer parfaitement dans une grande catégorie comme la perception, la cognition ou l’action. En fait, son activité peut être associée à celle des trois catégories, rendant ici bien difficile l’application de ces trois concepts classiques de la psychologie cognitive.
Je parlais aussi dans ce même billet et dans mon chapitre 5 d’une méta-analyse de 3 222 études d’imagerie cérébrale effectuée par Russell Poldrack en 2006. Elle montre à quel point il semble y avoir, en réalité, très peu de régions cérébrales dédiées à une fonction cognitive unique. Parce que si l’aire de Broca, associée à la production du langage depuis un siècle et demi, s’activait effectivement lors des tâches langagières dans ces études, elle était plus fréquemment activée dans des tâches non langagières ! Une interprétation possible de ces données surprenantes serait que par sa position dans la partie postérieure du lobe frontal, l’aire de Broca a probablement déjà rempli certaines fonctions sensorimotrices qui se sont par la suite avérées utiles pour le langage. Et ce sont ces fonctions premières qui sont possiblement conservées dans les tâches non langagières. Ou recyclées, si vous voulez.
Et ça n’arrête jamais. Récemment encore, je suis tombé sur un article qui rapportait que, aussi étonnant que ça puisse paraître, la même chose s’observe au niveau du cortex visuel où près de la moitié de l’activité neuronale n’a rien à voir avec la vision. Et même beaucoup avec les mouvements que fait l’animal ! Qu’est-ce que le mouvement vient faire dans le cortex visuel ? Encore la même chose je dirais : semer un gros doute quant à la pertinence de nos catégories verbales pour désigner des régions cérébrales. Pour le dire comme le titre d’un autre excellent article encore plus récent de Jordana Cepelewicz :“The Brain Doesn’t Think the Way You Think It Does”
Pour qui s’intéresse à la proprioception, le lien entre vision et mouvement n’a rien de surprenant. De la même manière, je ne suis pas surprise de lire que les travaux conçus depuis trois décennies pour étudier le cerveau dans le but de mettre en évidence des régions spécialisées, passaient finalement à côté de la réalité. Etant entrée dans le monde des neurosciences au travers de la proprioception, il est évident pour moi que tout est interconnecté, il est illusoire de vouloir séparer la motricité (nos mouvements) de la sensorialité (nos organes des sens, et notamment la proprioception) ; nous rentrons dans l’ère de la sensorimotricité, de la boucle Perception/Action où la proprioception joue un rôle central. Le monde des cognitivistes s’écroule tout doucement pour laisser la place à celui de la cognition incarnée.
Lire le billet de Rémi Guérin dans son intégralité : là.