La recherche avance dans l’univers de la dysfonction proprioceptive. Une équipe de Dijon vient de publier dans Scientific Reports, une revue du groupe Nature, les résultats d’une étude qui démontre que les dyslexiques ont une acuité proprioceptive altérée et que leurs difficultés en lecture sont corrélées à l’ampleur de leur déficit proprioceptif. Ces résultats mettent en évidence un nouveau déficit sensoriel qui ne peut pas être attribué à un manque de pratique de la lecture, fournissant un soutien clair aux théories sensorielles de la dyslexie développementale.
Movement detection thresholds reveal proprioceptive impairments in developmental dyslexia : https://www.nature.com/articles/s41598-020-79612-4 (Les seuils de détection de mouvement révèlent des déficiences proprioceptives dans la dyslexie développementale)
La dyslexie développementale est un trouble spécifique des apprentissages entraînant une incapacité persistante à acquérir une lecture efficace. Il s’agit du trouble neurodéveloppemental le plus répandu, touchant environ 9% des enfants et il a d’importantes conséquences, à vie, sur la réussite scolaire et professionnelle des sujets dyslexiques. Comprendre les mécanismes physiopathologiques de la dyslexie est primordial pour faire avancer ce grand défi de la société. Des milliers d’études ont étudié la physiopathologie de la dyslexie, documentant ainsi diverses déficiences et développant des théories très controversées. Bien que la dyslexie ait longtemps été considérée comme un trouble purement cognitif, de plus en plus de preuves ont montré que la dyslexie est associée à des déficits sensoriels. Pourtant, une question demeure en suspens. Les déficits sensoriels causent-ils la dyslexie ? D’un côté, les théories sensorielles soutiennent que les déficits sensoriels entraînent des troubles de la lecture. De l’autre côté, les théories cognitives soutiennent que c’est le manque de pratique de la lecture qui cause des déficits sensoriels. Parce que la dyslexie est principalement associée à des déficits visuels et auditifs – deux sens fortement impliqués dans la lecture – cette controverse de longue date est toujours importante. Selon les théories sensorielles, les troubles sont censés englober tout le système sensoriel, pas seulement la vision et l’ouïe. Les théories cognitives, au contraire, émettent l’hypothèse que les troubles sensoriels sont limités aux sens liés à la lecture. Les résultats qui soutiennent la généralisation des déficiences sensorielles dans la dyslexie sont rares. Tester une fonction sensorielle indépendante de la pratique de la lecture ferait ainsi progresser considérablement la physiopathologie de la dyslexie. Un résultat positif soutiendrait indéniablement les théories sensorielles et vice-versa.
La proprioception est une composante essentielle du contrôle sensorimoteur et plusieurs études ont rapporté des déficiences sensorimotrices dans la dyslexie. C’est pourquoi une équipe dijonnaise a testé directement l’acuité proprioceptive chez des enfants dyslexiques et des témoins de même âge grâce à un ergomètre robotisé et des analyses automatisées
Dix-huit enfants atteints de dyslexie développementale et dix-sept lecteurs typique du même âge ont participé à l’étude. L’âge d’inclusion a été limité à 10-12 ans, car des travaux antérieurs ont montré que l’acuité proprioceptive était à peu près stable à cet âge. Une orthophoniste a évalué à l’aveugle les capacités de lecture de tous les enfants avec trois tests cliniques, l’un évaluait leurs compétences en lecture, l’autre leurs compétences en segmentation phonologique et le dernier, leurs compétences en identification des mots. Comme prévu, les témoins ont surpassé les dyslexiques dans toutes les mesures.
L’acuité proprioceptive de ces enfants a été mesurée à l’aide d’une tâche de détection de mouvement bien connue qui évalue la capacité d’un sujet à détecter le mouvement passif d’un membre de son corps à différentes vitesses. Les enfants se sont assis sur une chaise et ont placé leur avant bras droit sur le dispositif de repos du robot. Celui-ci a ensuite fléchi passivement le coude des enfants sur le plan horizontal et il a été demandé aux enfants de se concentrer sur la détection de cette flexion passive. Les enfants portaient des lunettes opaques et des écouteurs à réduction de bruit pour empêcher l’ouïe et la vue d’influencer leurs jugements perceptifs. Les enfants devaient appuyer sur une gâchette, tenue de la main gauche, dès qu’ils sentaient le mouvement.
Les déficiences proprioceptives sont connues pour provoquer des temps de réaction plus longs et plus variables pour les stimulations les plus faibles. Les dyslexiques et les témoins ont présenté des valeurs similaires aux vitesses les plus élevées. Néanmoins, les dyslexiques étaient plus lents et plus variables que les témoins à des vitesses plus lentes, les dyslexiques étaient même deux fois plus longs et deux fois plus variables que les témoins à la vitesse la plus lente (0, 25°.s-1).
Dans un deuxième temps, les chercheurs se sont demandé dans quelle mesure le déficit proprioceptif peut expliquer la déficience en lecture. Ils ont pour cela calculé les coefficients de corrélation entre l’indice d’acuité proprioceptive et l’indice de capacité de lecture et ont trouvé une forte corrélation positive entre l’acuité proprioceptive et la capacité de lecture. Ainsi, même si tous les dyslexiques ne présentent pas un fort déficit proprioceptif, l’acuité proprioceptive et le niveau en lecture sont étroitement liés.
Ces résultats mettent en évidence un nouveau déficit sensoriel chez le dyslexique qui ne peut être attribué à un manque de pratique de la lecture, apportant un soutien clair aux théories sensorielles de la dyslexie développementale.
Présentation de cette étude par Jérémie Gaveau, PhD, Professeur associé, U1093 INSERM CAPS :
Voir sur le site de l’unité INSERM U 1093 (clic sur l’image) :

Voir le résumé de cette étude sur le site du Dr Quercia : Les dyslexiques ont-ils une dysfonction proprioceptive ?
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